Après que l’île-continent eut été maintes fois rencontrée aux hasards de la navigation au cours des siècles précédents, la fin du XVIIIe siècle allait être le temps des appropriations européennes de l’Australie.
Appropriations européennes de l’Australie
On ne saurait parler des appropriations européennes de l’Australie, c’est-à-dire de la prise de possession de l’Australie par la France et par l’Angleterre, sans dire un mot de l’état du droit international de cette époque, ce qui était communément appelé le « Droit des Gens »
Le droit des gens
Le droit international du XVIIIe siècle, clairement exposé dans le traité de Emer de Vattel (1714 – 1767) « Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des Nations et des Souverains » (livre 1 – chapitre XVIII, pp. 191-196), reconnaissait le droit aux nations européennes, en vertu des principes de la loi naturelle, de conquérir des terres inhabitées ou, lorsque ces terres étaient déjà habitées, elles ne l’étaient que par des « peuples errants, incapables, par leur petit nombre, de l’habiter toute entière » .
Ce droit découlait de deux principes:
- La terre est le bien commun de l’humanité, « destinée par le Créateur à être leur habitation commune et leur mère-nourrice. » Ce droit à la terre a été organisé en nations qui cultivent et exploitent leurs sols et possèdent alors chacune sur son propre territoire un droit souverain. Il est par principe fondé à proportion des besoins des habitants. Lorsqu’elles rencontrent des vastes territoires sur lesquels ne vivent que des d’habitants peu nombreux, et qui n’exercent pas sur ces territoires une activité agricole visible et constante, qui ne sont donc que des populations « errantes » , les nations très peuplées, comme les nations européennes, ont un droit de s’approprier ces terres pour permettre à leurs citoyens de s’y installer, de les exploiter et de les faire fructifier. Il s’agit là, pour le droit international en vigueur au XVIIIe siècle, d’un principe de la loi naturelle.
- « tous les hommes ont un droit égal aux choses qui ne sont point encore tombées dans la propriété de quelqu’un; et ces choses-là appartiennent au premier occupant » .
L’Australie, vaste continent très faiblement peuplé par une population nomade aborigène se nourrissant exclusivement de cueillette, de chasse et de pêche, entrait parfaitement dans la définition de ces territoires dont les navigateurs européens pouvaient prendre possession au nom de leurs souverains.
L’appropriation anglaise de l’Australie par James Cook
Au début du XVIIIe siècle les côtes Ouest et Nord de l’Australie étaient relativement sommairement cartographiées, mais aucune tentative pour y établir des colonies n’avait été faite. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIème siècle que l’intention de coloniser ce nouveau territoire se manifesta. En 1770, l’expédition de l’Endeavour, sous le commandement du lieutenant de la Royal Navy de Grande-Bretagne James Cook, parcourut et cartographia la côte Pacifique de l’Australie et débarqua à Botany Bay le 29 avril 1770, au Sud de la Baie de Sydney. James Cook poursuivit ensuite sa route vers le nord, et débarqua sur l’île de la Possession (Possession Island) dans le détroit de Torres, au large du Cap York. C’est là, le 22 août 1770, qu’il prit formellement possession de la côte Est de l’Australie au nom de la Couronne britannique, lui attribuant le nom de Nouvelle-Galles du Sud.
Cependant, la colonisation ne devait débuter que 18 ans plus tard avec l’arrivée en 1788 de la « First Fleet » emmenée par le capitaine Arthur Phillip.
Pourquoi le Capitaine Cook ne prit-il possession que de la partie orientale (côte Pacifique) de l’Australie, et non pas de l’Australie toute entière?
La communauté scientifique et maritime de cette époque pensait que l’Australie était en fait constituée de deux blocs de terre séparés par une mer transversale partant du fond du Golfe de Carpentarie au Nord pour déboucher dans la Grande Baie Australienne au Sud. La réalité de cette séparation de l’Australie en deux blocs n’avait jamais été vérifiée. Il faut dire que les dimensions du Golfe de Carpentarie avaient de quoi accréditer cette idée de l’existence d’une mer intérieure:
- largeur Est-Ouest à l’entrée (Nord): 580 kilomètres
- plus grande largeur Est-Ouest intérieure: 650 kilomètres
- profondeur Nord-Sud à partir de la pointe de la péninsule du Cap York: 800 kilomètres.
Cette croyance de l’existence d’une mer séparant deux blocs de terre australiens a perduré assez longtemps. Ceci est en particulier attesté par les instructions du Premier Consul Napoléon Bonaparte, transmises à Nicolas Baudin (voir ci-dessous) en 1799 via l’Institut de France, qui ordonnaient:
« Vous devrez visiter la portion de continent marquée par les îles Saint-Pierre et Saint-François [îles situées dans le Sud de l’Australie et faisant aujourd’hui partie de l’Australie Méridionale – NDLR] où l’on suppose l’existence d’un détroit qui pourrait, de ce point, communiquer avec le fond du golfe de Carpentarie et qui, par conséquent, pourrait couper la Nouvelle Hollande en deux grandes îles presque égales » .
N’ayant, à son sens, foulé que le sol du bloc de terre situé à l’Est de ce supposé détroit, le Capitaine Cook ne pouvait donc légitimement prendre possession que de cette partie orientale de l’Australie.
L’appropriation française de l’Australie par Louis François Marie Aléno de Saint Aloüarn
La prise de possession de l’Australie par la France est relativement peu connue. Elle est le fruit de l’expédition formée de deux navires commandée par le lieutenant de vaisseau Yves de Kerguelen commandant le « Berryer » , assisté du lieutenant de vaisseau Louis Aléno de Saint Aloüarn commandant le « Gros Ventre » . C’est finalement Louis de Saint Aloüarn, dont le navire a été séparé du navire amiral de Keruelen pendant le débarquement et la prise de possession par la France de l’archipel des Kerguelen dans le Sud de l’Océan Indien, qui y procède le 30 mars 1772 dans l’île de Dirk Hartog, sur la côte Ouest de l’Australie.
La prise de possession de l’Australie occidentale par la France mérite un traitement spécial. Aussi, pour une présentation détaillée de l’expédition maritime qui a conduit à cette annexion, suivre le lien: Expédition de Yves de Kerguelen.
De nombreuses références de cette présentation de l’expédition maritime Kerguelen-Saint Aloüarn sont tirées de l’excellent et incontournable livre de Philippe Godard et Tugdual de Kerros, « Louis de Saint Aloüarn, lieutenant des vaisseaux du Roy : Un marin breton à la conquête des Terres Australes » (Editions Les Portes du Large)
Contributions scientifiques françaises
En octobre 1800, après une déjà longue carrière de marin, Nicolas Thomas Baudin (17 février 1754 – 16 septembre 1803), marin, capitaine, cartographe et explorateur français, est sélectionné par le Premier Consul Napoléon Bonaparte pour commander une expédition scientifique sur les côtes de l’Australie avec deux navires, le « Géographe » et le « Naturaliste » .
Nicolas Baudin atteint la Nouvelle-Hollande (l’Australie) en mai 1801. Il recueille une moisson abondante de plantes. En avril 1802, il rencontre près de Kangaroo Island le navigateur britannique Matthew Flinders. Il fait escale à la colonie britannique de Port Jackson (Sydney) de juin à novembre 1802 pour son ravitaillement puis l’expédition reste un mois en Terre de Van Diemen (la Tasmanie) avant de se rendre à Timor via la côte Ouest de l’Australie. Partis du Havre le 19 octobre 1800, les deux navires seront de retour, le « Naturaliste » au Havre en juin 1803 et le « Géographe » à Lorient le 21 mars 1804.
Illustration de la rivalité France-Angleterre dans la région, il semble bien que les navigateurs britanniques comme Matthew Flinders aient été chargés de surveiller de près les navires français que les Anglais soupçonnaient de vouloir établir une colonie en Australie.
L’expédition de Nicolas Baudin a permis de donner une forme cartographique à une grande partie de cette terre demeurée jusque-là méconnue. Cette expédition a permis de produire des cartes géographiques de presque toute la partie sud et ouest de l’Australie ainsi que de la Tasmanie. Aujourd’hui encore, beaucoup d’endroits, sur les côtes australiennes, portent le nom dont Baudin et son intrépide équipage les avaient baptisé.
Lorsque j’ai pour la première fois étudié avec attention les cartes d’Australie j’ai été très impressionné et, je dois l’avouer, un peu fier de la France, de découvrir qu’une quantité considérable de points des côtes Sud et Ouest portent des noms français, témoignage de l’impressionnant travail de nos navigateurs explorateurs.
L’expédition s’est révélée être également l’un des plus grands voyages scientifiques de tous les temps : le Naturaliste rentre au Havre en juin 1803 et le Géographe à Lorient le 21 mars 1804, rapportant des dizaines de milliers de spécimens de plantes inconnues, 2 500 échantillons de minéraux, 12 cartons de notes, observations et carnets de voyages, 1 500 esquisses et peintures.
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Intéressons-nous à présent d’un peu plus près à l’expédition de Yves de Kerguelen qui amena à la prise de possession de l’Australie par la France.