Prise De Possession De L’Australie Par La France

Pendant le débarquement et la prise de possession de ce que l’on croit être le continent austral de cette fameuse Terra Australis Incognita, et qui n’est en fait que ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom d’archipel des Kerguelen, Louis Aleno de Saint Aloüarn et l’équipage du « Gros Ventre » équipage ont perdu de vue le navire la « Fortune » de Yves de Kerguelen.

La brume s’est installée et s’est épaissie, multipliant les risques de se briser sur un récif. Le froid très vif fait rapidement des ravages dans l’équipage. Saint Aloüarn n’a d’autres choix que de faire route au Nord vers des latitudes plus clémentes, vers un secteur de ralliement convenu d’avance avec Kerguelen en cas de séparation des deux navires.

Saint Aloüarn va parcourir ce secteur de ralliement entre 90° et 96° de longitude Est et le long du 40ème parallèle Sud pendant une semaine. Il fait tirer toutes les nuits coups de canon, fusées éclairantes et amorces brûlées en haut des mâts. Il doit se rendre à l’évidence: les deux navires se sont perdus, et dans cet océan immense ils n’ont aucune chance de se retrouver.

Finalement, sans espoir de retrouver la « Fortune », Saint Aloüarn devrait logiquement rebrousser chemin et rejoindre le plus rapidement possible l’Isle de France pour y annoncer l’accomplissement de la mission et la découverte du continent austral.

Or il n’en est rien. Au contraire, il fait exactement le contraire! Il décide de mettre cap au Nord-Est et de faire route vers la Nouvelle Hollande!

S’il fait cela, c’est sans doute en exécution des instructions royales. Ou peut-être s’agissait-il d’un autre point de rencontre convenu d’avance avec Yves de Kerguelen? A une époque où les moyens de communication n’étaient que visuels, il était en effet essentiel pour les bateaux navigant de concert de prévoir une série de lieux de rencontre successifs pour le cas, loin d’être improbable, où ils se trouveraient séparés.

La suite de l’expédition nous indique qu’il devait très certainement y avoir une instruction du roi Louis XV concernant la prise de possession de l’Australie par la France.

Hémisphère oriental - 1761

Hémisphère oriental – 1761 – Les cartes de Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville sont considérées comme les meilleures de son temps

Prise de possession de l’Australie par la France

(Rappel: Nouvelle Hollande = Australie)

Pour l’aider dans sa navigation vers la Nouvelle Hollande, Saint Aloüarn disposait de plusieurs documents cartographiques:

  • cartes déjà anciennes de l’Océan Indien des Néerlandais Pieter Goos et Johannès Van Keulen
  • carte publiée en 1753 par Jean-Baptiste d’Après de Mannevillette,
  • recueil de cartes et plans de Jacques Nicolas Bellin, dont une précieuse « Carte Réduite des Terres Australes ».

La mission de prise de possession de l’Australie

Aussi fut-il relativement aisé à Saint Aloüarn de rejoindre la pointe  Sud-Ouest du continent australien le 17 mars 1772 au cap Leeuwin. Il y cherche un point propice à un  débarquement, mais n’en ayant pas trouvé il décide de remonter vers le Nord le long de la côte occidentale de l’Australie en direction de Timor dans les îles de la Sonde où il espère retrouver éventuellement Yves de Kerguelen.

Mais une autre raison, que nous avons signalée, le pousse à remonter vers le Nord et parvenir au milieu de la côte Ouest de la Nouvelle Hollande: les instructions secrètes du roi de prendre possession des terres nouvelles, à savoir le grand continent austral, ce qu’il pense avoir déjà accompli, et la Nouvelle Hollande qui se trouve à présent à quelques lieues sur son tribord.

Le droit de la France à prendre possession de l’Australie

Le point de savoir si la France était fondée à prendre possession de l’Australie mérite d’être ici débattu car, en effet, elle n’aurait pu prendre possession d’une terre qui aurait été antérieurement annexée par une autre puissance européenne.

  • A l’appareillage du « Berryer » , le roi de France Louis XV pouvait-il savoir que le capitaine Cook avait déjà pris possession de la partie orientale de cette terre au nom de la couronne britannique près de neuf mois plus tôt, le 22 août 1770? La réponse doit être négative. En effet la mission Kerguelen a quitté Lorient le 1er mai 1771, alors que le navire « Endeavour » de Cook, de retour de son expédition, ne touche Plymouth que le 13 juillet 1771, soit deux mois après le départ du « Berryer ».
  • Kerguelen, ainsi que Saint Aloüarn qui avait été informé du contenu des instructions du roi, pouvaient-ils avoir appris après leur départ de France cette prise de possession? Cela est peu vraisemblable car les Anglais ne relâchaient pas à l’Isle de France où ils étaient « personnae non gratae » depuis la guerre de sept ans.
  • Et même s’il en avait été ainsi et que l’information de la prise de possession anglaise eut été connue, il était alors communément envisagé, voire admis, que la Nouvelle Hollande pouvait ne pas être un seul et unique continent mais au contraire pouvait être constituée de deux îles de taille sensiblement égale séparées du Nord au Sud par un détroit entre le Golfe de Carpentarie au Nord et la Grande Baie Australienne au Sud. Même si la prise de possession par Cook avait été connue, ce qui est peu vraisemblable, elle n’aurait de toutes façons valu que pour la partie côté Océan Pacifique, tout comme Cook l’avait lui-même estimé et spécifié.

Rendez-vous avec l’Histoire sur l’île de Dirk Hartog

Saint Aloüarn remonte vers le Nord en attendant de trouver un endroit de la côte permettant un débarquement. Il trouve finalement cet emplacement le 28 mars 1772 à l’Ile de Dirk Hartog, là où avait déjà pris pied de manière tout à fait fortuite plus d’un siècle auparavant, le 25 octobre 1616, le Hollandais Dirk Hartog commandant le navire « Eendracht » (la « Concorde ») appartenant à la chambre de commerce d’Amsterdam.

Falaises de Dirk Hartog

Les falaises de le côte Ouest de l’île de Dirk Hartog ne permettaient pas de débarquer

Ce 28 mars 1772 donc, par un beau temps fixe, le « Gros Ventre » mouille en mer au large de l’île d’Hartog, une île longue qui barre en partie et abrite la grande baie de Shark Bay. Le lendemain, 29 mars, le « Gros Ventre » se rapproche de la côte, formée de hautes falaises, et entame une lente remontée de cette île vers le Nord. On aperçoit de la fumée, ce qui laisse supposer une présence humaine. Le relief de la côte s’abaisse progressivement au fur et à mesure de la remontée. En fin de journée le navire atteint l’entrée de la rade à l’extrémité Nord de l’île, où il pénètre au soir pour gagner le mouillage historique des Hollandais.

30 mars 1772

Le lendemain matin, 30 mars 1772, Saint Aloüarn envoie un petit canot en reconnaissance. En l’absence de danger, Saint Aloüarn donne l’ordre à l’enseigne Jean-Basile Paulin Mengaud de la Hage d’armer le grand canot où il devra prendre place avec, outre l’équipage habituel de rameurs, cinq soldats du Régiment Royal Comtois en uniforme et en armes. La raison de cette solennité nous est donnée par Saint Aloüarn lui-même de manière courte et concise:

« Nous envoyons notre canot prendre possession de la terre au nom de la France en y mettant les armes ».

Cérémonie de prise de possession de l’Australie

Mengaud prend pied sur la plage de la Baie des Tortues en milieu de matinée. Les membres de son équipe escaladent péniblement les falaises sablonneuses qui bordent la plage et qui donnent sur un large plateau. Ils parcourent une partie de l’étendue devant eux sans trouver âme qui vive. De retour au bord de la dune on procède à la cérémonie de prise de possession de l’Australie, ou plus précisément, de la partie occidentale de l’Australie.

Cette cérémonie est exécutée par des soldats de l’armée royale en tenue et en armes, avec le drapeau de la monarchie élevé sur un mât, ainsi que l’étendard  du régiment auquel appartient le détachement militaire, en l’occurrence l’étendard du Régiment Royal Comtois. La cérémonie consiste en la lecture de l’acte de prise de possession officiel au nom du roi de France, document introduit ensuite dans une bouteille que l’on scelle et que l’on place dans une excavation pratiquée dans le sol. On y ajoute des pièces de monnaie à l’effigie du roi, et l’on rebouche le trou. On fait ensuite tirer du mousquet.

A noter que lorsqu’il s’agissait d’une prise de possession en présence d’une population, les instruments de cette annexion prenaient une forme différente: exemple de prise de possession en Nouvelle-France (Amérique du Nord).

Instruments de la prise de possession de l’Australie par la France

Les louis de la prise de possession de l'Australie par la France

Les louis de la prise de possession de l’Australie par la France le 30 mars 1772

En fait, ce sont vraisemblablement deux bouteilles – voire peut-être trois, pourquoi pas? – que ce détachement militaire a enterrées ce jour-là dans des trous séparés pratiqués dans le sol, sur cette falaise de sable de la Baie des Tortues. Une première bouteille, ou plus exactement sa capsule de plomb abritant un louis de Louis XV de 1766 a été découverte le 16 janvier 1998 par une expédition conduite par le Français Philippe Godard. Une seconde bouteille avec la même monnaie a été retrouvée entière le 1er avril 1998 par une équipe du Western Australian Museum emmenée par l’archéologue Myra Stanbury. Malheureusement ni à l’emplacement de la première découverte, ni dans la seconde bouteille n’a-t-on retrouvé le document écrit, l’acte de la prise de possession. Soit ce document s’est dégradé et s’est autodétruit au fil du temps, soit il a été introduit dans une troisième bouteille.

Ce qui peut laisser penser – rêvons un peu – qu’il existe toujours une troisième bouteille contenant l’acte de prise de possession de l’Australie par la France enfouie dans le sable de cette dune de Dirk Hartog, et qui attend son découvreur !

Une fois la cérémonie conduite par Mengaud de la Hage accomplie ce matin du 30 mars 1772, la partie occidentale de l’Australie était devenue française !

Selon le droit international de l’époque, la France avait dorénavant le droit de s’en déclarer propriétaire exclusif, de la revendiquer, et de la coloniser, ce qu’elle ne fera malheureusement pas, contrairement aux Anglais qui, après leur prise de possession du 22 août 1770, s’établirent sur la côte Pacifique, dans la Baie de Sydney, à Port Jackson, en 1788, soit dix-huit années plus tard.

Fin du voyage de Louis Aleno de Saint Aloüarn

A partir du 31 mars et pendant 9 jours Saint Aloüarn s’emploie à parcourir Shark Bay dans l’espoir vain de trouver de l’eau fraîche. Le 8 mars le « Gros Ventre » retrouve la pleine mer et reprend sa remontée vers le Nord. Saint Aloüarn est pressé de rejoindre Timor et ne prend malheureusement pas le temps d’explorer et, comme l’aurait fait un Cook, ou comme le fera plus tard Nicolas Baudin, de cartographier en détail cette côte de l’Australie. Le 26 avril il atteint l’archipel Bonaparte, ainsi baptisé par Baudin le 16 août 1801 en l’honneur de Joseph Bonaparte. Après avoir dépassé cet archipel fort de plusieurs centaines d’îles et îlots, la mer est libre et le « Gros Ventre » peut cingler toutes voiles dehors vers Timor qu’il atteint le 3 mai. Il y restera plus d’un mois pour réapprovisionner le bord et soigner ses malades à terre.

Carte Iles de la Sonde

Carte Iles de la Sonde

Dans un premier temps le navire peut se réapprovisionner en produits frais, mais progressivement le séjour de l’équipage du « Gros Ventre » dans ces contrées de l’Insulinde sera semé de multiples embuches et désagréments. De mouillages en mouillages, il arrive finalement à jeter l’ancre le 18 juillet à Batavia, colonie hollandaise, et rejoindre ainsi la civilisation.

A court d’argent Saint Aloüarn demande, au nom du roi, l’aide de la colonie hollandaise pour acheter les denrées alimentaires et équipements pour pouvoir assurer son retour vers l’Isle de France, aide financière qui lui est refusée. Il doit donc emprunter à un particulier la somme nécessaire.

La maladie frappe durement l’équipage parmi lequel on compte de nombreux décès. Saint Aloüarn lui-même, mal remis de sa maladie de l’Isle de France, ainsi que Mengaud de la Hage, sont également atteints par les « fièvres de Batavia« . Le 8 août le « Gros Ventre » reprend la mer entre les îles. Il parvient quelques jours plus tard à s’approvisionner en eau fraîche et en bois à Java.

Le 16 août le nombre provisoire de morts s’établit à un trentaine.

Le  18 août le « Gros Ventre » sort des îles et reprend la haute mer en direction de l’Isle de France qu’il rejoint le 5 septembre en seulement 18 jours de navigation grâce à un providentiel vent arrière bien établi.

Saint Aloüarn est à la dernière extrémité. On le débarque en le portant sur un brancard et en l’installant dans un carrosse. Il en est de même de Mengaud de la Hage qui, tout au long du voyage, a été de toutes les expéditions, a matériellement pris possession de l’Australie, et qui succombe le lendemain de leur retour de maladies contractées dans les territoires hollandais. Saint Aloüarn, frappé de divers maux anciens que les fièvres des terres hollandaises ont aggravés, traîne sa maladie pendant des jours. On le croit rétabli, mais c’est pour ensuite mieux dépérir. Il s’éteint à Port-Louis à l’Isle de France le 27 octobre 1772.

C’est donc la fin d’une prodigieuse mais dure aventure humaine. Je n’ai pu la relater, brièvement, que grâce à l’ouvrage extrêmement bien documenté de Philippe Godard et Tugdual de Kerros, « Louis de Saint Aloüarn, un marin breton à la conquête des terres australes » dont je recommande très vivement la lecture. L’internet, malheureusement souvent farci d’erreur et d’à-peu-près, et surtout Wikipédia, m’ont également été d’un grand secours.

Cette aventure aurait pu, aurait dû, se traduire par l’annexion définitive et la colonisation par la France de la moitié occidentale de l’Australie.

Elle mérite donc un épilogue à la prise de possession de l’Australie par la France.

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